- COMMUNICATION - Les processus de la communication
- COMMUNICATION - Les processus de la communicationL’évolution qui a marqué les problèmes de la communication dans le monde contemporain s’inscrit dans la terminologie, elle-même reflet de la conceptualisation. En français comme en anglais, tend à se constituer une opposition entre deux sens du mot «communication»: celui de possibilité de passage ou de transport entre deux points (on parle alors de voies de communication); celui de transmission supposée au moins réciproque des messages et de leurs significations.Cette interférence sémantique n’est pas fortuite et n’est pas, en français, un «anglicisme». En fait, la communication de signes se substitue en partie au transfert de personnes et de choses par un allégement caractéristique. Chaque message peut alors se définir comme une combinaison de signes en tant que référés à une signification selon un certain code . Qu’il faille parler de code suppose toujours un minimum d’arbitraire ou de «convention» qui réside au moins dans le choix du type de signes, même s’ils peuvent être dits analogiques . Une photographie ou des séquences animées de photos projetées supposent l’apprentissage d’un décodage, c’est-à-dire, pour le moins, de la signification des conditions d’isolement et de présentation de certains types d’images et de la sélection exclusive qu’elles font ou ont l’air de faire de certaines propriétés. La valeur intérimaire d’une photo par rapport à son modèle, la signification de l’échange de photos sont des objets de l’étude de la communication. Pour être rendu disponible par des processus héréditaires, tel ou tel signal animal n’en est pas moins susceptible d’un arbitraire qui requiert éventuellement apprentissage et, en tout cas, se prête à des aménagements particuliers en fonction d’expériences particulières, pas nécessairement spécifiques, c’est-à-dire communes à l’espèce. Toute communication suppose donc une source , distincte ou non d’un émetteur ou communicateur qui code dans un message la signification issue de la source, quelle que soit la nature matérielle du code utilisé: signaux acoustiques, vocaux ou non, signaux optiques, signaux directs non permanents (gestes, éclairs) ou au contraire fixés en enregistrements ou documents (écriture, photographie, cinéma, etc.). Le message ainsi constitué est transmis par un support matériel, ligne ou canal de transmission vers un récepteur qui déchiffre ou décode le message dans l’état où il le reçoit (après pertes et brouillages éventuels dus au bruit ) et en tire ainsi sa propre version ou signification (version du destinataire). On reconnaîtra ici le schéma élémentaire usité dans la théorie de l’information .1. Le schéma de la communicationLes aspects informationnelsCette assimilation au schéma informationnel est justifiée dans la mesure où, pour qu’il y ait communication, il faut nécessairement que les communicateurs (émetteur et récepteur) disposent de moyens d’information au sens physique et mathématique du mot, c’est-à-dire d’au moins deux éléments discriminables par un détecteur de différences (par exemple, un appareil perceptif humain ou encore une machine), et susceptibles d’être opposés dans une alternative telle que la probabilité d’apparition d’aucun des termes dans un message ne soit ni nulle ni certaine (égale à 1).La quantité d’information disponible dans un système de formation de messages (clavier) est d’autant plus grande qu’il y a plus d’éléments discriminables (touches) et que les probabilités d’utilisation des différentes touches sont plus égales a priori et plus indépendantes dans le temps. Dans cette définition de la quantité d’information par le maximum de désordre (ou le minimum de prédétermination), on retrouve la définition de l’entropie . La formule fondamentale en est:dans laquelle p i est la probabilité d’apparition d’un élément ou signal quelconque.C. Shannon et W. Weaver (1949) ont insisté sur la portée explicative de la théorie et donné à leur ouvrage le titre de Théorie mathématique de la communication . Toutefois, ils ont fort bien vu la nature du rapport entre information et communication. La théorie de la communication, selon Weaver, a trois niveaux:– un «niveau A», où se pose le problème technique: avec quelle précision les symboles de communication peuvent-ils être transmis?– un «niveau B», où se pose le problème sémantique: avec quelle fidélité les symboles transmis véhiculent-ils la signification voulue?– un «niveau C», où se pose le problème d’efficacité: avec quelle efficacité le sens reçu affecte-t-il la conduite du récepteur dans le sens voulu?Notons d’abord que Weaver retrouve approximativement un type de distinction ternaire, classique depuis C. Morris (1946); mais, d’une part, il omet les conditions et processus de production du message liés à l’émetteur (dans le domaine de la pragmatique) et, d’autre part, il ne considère les conditions et processus de réception que sous l’angle normatif et pratique de l’efficacité, en rapport avec les fins de l’émetteur, sans envisager les effets qui n’ont pas de rapport avec ces fins et, notamment, sans prendre en compte les fins du récepteur. C’est le point de vue de l’ingénieur, qui traite le récepteur comme une matière sur laquelle il doit avoir prise . Ce ne peut être celui du psychosociologue, pour qui la communication est seulement une composante de l’interemprise entre agents, celle qui recourt à l’échange de signes codés et que pour cette raison on appellera interemprise sémique . Il est vrai que les contraintes ou limitations propres au niveau de la technique de communication et donc les contraintes informationnelles (niveau A) sont astreignantes pour tous les niveaux. Mais il est vrai aussi qu’il n’y a pas coïncidence entre la théorie de l’information et le domaine théorique de la communication. Tout d’abord, la théorie de l’information a une extension toute différente: ses concepts s’appliquent à des domaines étrangers, quoique isomorphes à certains aspects de la communication psychosociale, qu’il s’agisse de la thermodynamique ou de la statistique pure ou appliquée. L’objection serait secondaire et montrerait seulement l’absence de spécificité de ce domaine psychosociologique, ce que son interaction avec les machines informationnelles semblerait confirmer à beaucoup d’égards.Contrairement aux préjugés de beaucoup de spécialistes en sciences humaines, il est propre à la science d’opérer des réductions de ce type, pour peu qu’elles soient heuristiques. Mais les réductions, aussi fécondes soient-elles, épuisent rarement leur objet et se combinent en général avec d’autres. De façon beaucoup plus directe, il est apparu que l’étude du langage, domaine essentiel de la communication, tirait des traitements informationnels un profit limité et que d’autres modèles mathématisés étaient efficaces: citons la linguistique transformationnelle de Noam Chomsky (1964), qui cherche à rendre compte algébriquement de la fécondité constructive des langues à partir de signifiants spécifiques et de règles de combinaison déterminées, plutôt qu’à partir de propriétés statistiques d’ensembles quelconques.Le rôle de la théorie de l’information ne pouvant être celui d’une théorie unitaire, mais seulement d’une théorie segmentaire portant sur certaines conditions nécessaires et instrumentales de la communication, on conclura qu’il n’existe pas, contrairement à un usage abusif, de «théorie de la communication». Il existe seulement un domaine peu à peu émergent, objet de recherches et théories hétérogènes dont la coordination, si peu qu’elle avance, peut être féconde, mais reste à faire.Les réseaux de communicationL’étude des réseaux de communication est au fond une psychosociologie écologique de la communication: elle porte sur les conditions de milieu dans lesquelles la communication s’exerce; elle est née d’une traduction en termes de graphes (liaisons graphiques entre éléments d’ensembles de points) des idées de Kurt Lewin (1936) sur une «psychologie topologique» qui séparait des régions psychologiques par des frontières. A. Bavelas (1950) montre qu’à toute relation «région A-frontière-région B» (A-f-B), il est possible de substituer un graphe ab où le mode de séparation ou de connexion entre a et b peut être symbolisé par une ligne entre deux points (présente, absente, fléchée, etc.). Les graphes visualisent, symbolisent des relations. Mais, du même coup, l’intuition aidant, le problème de Lewin, qui était celui de la locomotion d’un sujet (ponctuel) de région en région à travers des frontières, devient celui de la communication entre deux sujets et davantage. Ainsi le problème du passage du sujet (déplacement ou locomotion, notions qui s’inspirent des communications au sens du voyage ) est remplacé par celui du passage du message à travers le séparateur-connecteur. Et le dispositif expérimental qui en résulte (Leavitt, 1951) vise à établir l’effet psychosocial de la présence ou de l’absence de ligne de communication (contact ) au sein des paires d’un réseau de plus de deux personnes. Une tâche simple (résolution collective d’une énigme en forme de puzzle) est mieux réussie dans un réseau à contacts centralisés que si les contacts sont plus également répartis.La variable de centralisation est, de toute évidence, une transposition, à la communication, d’un des problèmes qui avaient dominé la pensée de Lewin en psychologie sociale expérimentale: celui des régimes politiques, désignés par lui en termes déjà métaphoriquement écologiques sous le nom de climats psychosociaux (autoritaire, démocratique, de laisser-faire). A. Bavelas a substitué à une caractéristique régionale (l’ambiance de l’action) une caractéristique certes relative au système général de communication, mais déterminée par une variable technique strictement localisée. La notion d’autorité, transposée de la politique , c’est-à-dire de conceptions touchant le gouvernement ou la gestion de la société globale et les mœurs qui s’y développent, est remplacée par la centralité, propriété technique d’un système d’organisation. On revient à des problèmes d’ingénierie psychosociale. Cette évolution très significative s’accompagne d’une démonstration non moins importante de la relativité des critères de succès d’un système de communication: si les réseaux centralisés sont techniquement plus efficaces, en revanche ils sont moins satisfaisants, c’est-à-dire agréables , pour la plupart des participants, du fait justement de la faible participation des sujets périphériques. Apprécier un système en fonction de critères divergents, c’est déjà fonder un relativisme des finalités concernant les régimes et les systèmes d’organisation; c’est poser la question de la décision en tant qu’elle opère par sélection et pondération des objectifs et, en particulier, des objectifs antagoniques. La relativité téléologique , en posant des problèmes complexes d’optimum, ouvre corrélativement sur la concertation sociale quant aux buts et sur la recherche opérationnelle propre à définir les agencements de buts et de moyens. Techniquement et pour ce qui est de l’exécution de la tâche, les problèmes en cause sont d’abord la capacité de la ligne, la protection contre le bruit. L’équipe de Bavelas le sent si bien que, très tôt, elle fait intervenir des problèmes typiques de bruit, liés cette fois au défaut d’ajustement préalable des codes (la tâche rend indispensables des informations mutuelles des sujets sur des billes à couleurs brouillées, objets d’une tâche collective). Par suite, un brouillage général sur l’ensemble du réseau, en exigeant des opérations d’accordage des codes, renverse l’ordre d’efficacité des réseaux. Le réseau le plus efficace est alors celui qui facilite la concertation pour la mise au point des codes, c’est-à-dire le moins centralisé. C’est donc un aspect de cette dernière expérience de montrer les rapports de la communication avec les processus psycholinguistiques ou sémantiques (cf. infra ). C’en est un autre d’indiquer la dépendance générale de l’efficacité des structures de communication à l’égard de la nature de la tâche. Telle est une deuxième notion de relativité des réseaux, la relativité à la tâche .Claude Flament (1964) a démontré et formalisé rigoureusement cette relativité par l’analyse du modèle de tâche dans le langage mathématique des graphes, homogène à celui de l’analyse des réseaux. Il a pu montrer ainsi que le processus à l’œuvre dans les réseaux est celui de l’apprentissage par les sujets de la structure du réseau et de l’adaptation à ses contraintes matérielles pour réaliser la meilleure approximation d’une structure de tâche, définie par ailleurs indépendamment de toute contrainte matérielle. La même démarche est appliquée à un «modèle de discussion».Au terme d’un rapide examen de la psychologie sociale expérimentale des réseaux, on peut mesurer exemplairement le chemin parcouru. K. Lewin a voulu poser en termes expérimentaux, à des fins de recherche-action, la question de l’autoritarisme politique, telle qu’il la vivait à travers son exil, consécutif au national-socialisme fasciste et persécuteur de minorités «périphériques», «marginalisées». Cependant, il a posé implicitement la question de la validité d’un système en termes de validité générale, avec pour effet une apologie implicite du régime démocratique, censé, comme par hasard, satisfaire à toutes fins, de façon significativement supérieure aux autres régions de l’univers. En dépit de l’expérimentation, on n’est pas loin ici de Leibniz, où tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles. C’est le monde que Voltaire a raillé en la personne de Pangloss, polyglotte peut-être, mais surtout individu qui parle toujours en termes de totalité (pan-gloss), de système total. La démarche de Bavelas, s’appuyant sur celle de Lewin pour la critiquer, fait éclater le «panglossisme», l’utopie implicite du «règne des fins», commune aux systèmes politiques où le gâteau doit toujours rester entier après consommation. Il met en évidence le rapport étroit de la communication avec la position et la résolution des problèmes, la centralisation ou la distribution de l’autorité. Ce faisant, il opère, certes, une réduction partielle d’un problème politique à un modèle débouchant sur une ingénierie. Mais on ne peut omettre de signaler qu’il laisse entièrement ouverte la question des préférences de buts : hédonisme de communication participative ou efficacité de communication résolutive . Ce problème aussi peut être étudié expérimentalement. Mais il ne dispensera jamais, même s’il les éclaire partiellement, de choix proprement politiques. Il est curieux que ce domaine, brillamment ouvert, de la psychologie sociale expérimentale des communications n’ait débouché, aux États-Unis, que sur la pratique des organisations, laissant inachevée, à l’état pour ainsi dire abortif, une entreprise sans doute trop bouleversante pour les mentalités et les pratiques. Cependant, Gould et Lewontin (1982) s’attaquent scientifiquement au panglossisme, sous les espèces du fonctionnalisme biologique néo-darwinien, qui béatifie tout dispositif anatomophysiologique réel à l’aide d’«histoires» adaptationnistes. Derechef émergent, de façon aisée à expliciter, les questions de servitude onéreuse d’une réussite déterminée (adaptation) et de méthode pour faire apparaître les conditions causales de résolution des problèmes: la méthode «historique» du «récit» y apparaît moins adéquate que la méthode expérimentale, conduite avec rigueur, et qui échappe plus aisément aux pièges de l’apologétique masquée, en biologie et en sociobiologie, comme ailleurs. Les idéologies peuvent bien disparaître par la porte et rentrer par la fenêtre, déguisées en «histoires». C’est la vertu de la psychologie sociale euro-américaine d’avoir su créer les conditions d’une réflexion scientifique profonde sur l’organisation de la communication et son rapport avec l’organisation politique, ainsi que sur le rapport entre les structures idéologiques, les techniques sociales (ingénierie) et les démarches scientifiques (épistémologie des «histoires», même semi-expérimentales). Ce sont là aussi et encore des problèmes de théorie de la communication. Ils resurgiront quelque part si le moyen s’en trouve à force d’urgences. Des débats doctrinaires ou exégétiques, fussent-ils anti-idéologiques, ne peuvent en tenir lieu; ils peuvent tout au plus, en France par exemple, en faciliter l’amorce.2. L’analyse de processusProcessus et structure des échangesUne séquence de communication constitue un processus dont la nature discontinue est assez manifeste: elle provient de la discontinuité des locuteurs eux-mêmes (qui parle à qui?), du caractère discontinu ou discret que nous sommes habitués à attribuer, pour des raisons phénoménologiques, au langage, c’est-à-dire ici au discours: mots, propositions ou énoncés, phrases, etc. En fait, le flux linguistique est bel et bien continu. La phonologie y découpe les phonèmes que notre perception, fonctionnellement, y circonscrit, comme elle circonscrit des éléments dans la mimique, la gestuelle ou les postures (cf. R. Pagès, 1982).On peut se proposer d’analyser un processus de façon réellement séquentielle (du point de vue de l’ordre du temps) ou bien de façon synoptique . Ce que Bales appelle analyse de processus (1950) peut bien porter sur des phases successives, mais, à l’intérieur de chaque phase, les échanges sont considérés tout d’abord comme un ensemble dénombré d’énoncés, classés seulement suivant deux critères ou deux «entrées»: l’émetteur et le récepteur visé. Claude Flament (1965) montre que, si à chaque locuteur on attache deux paramètres, une tendance à l’émission a i et une tendance à la réception b j , et, si n ij est le nombre de communications émises par i vers j , les observations s’ajustent à la fonction: n ij = a i b j ; a et b croissent avec le rang du sujet dans le groupe, et b plus vite que a .On voit quel lien s’établit entre la structure de communication et la structure hiérarchique du groupe.Une classification plus poussée des énoncés montre que l’initiative d’émission et la nature des énoncés sont également liées au rang. Ainsi le rang jouerait un grand rôle dans la structuration des communications. Qu’entendre par là?Structure microsociale et communicationLes systèmes sociaux, y compris les plus petits, sont généralement des structures d’emprise dissymétrique: l’action exercée par les différents agents constituants les uns sur les autres au sein de chaque paire est inégale. «Action» s’entend ici en un sens très général: les agents sont inégaux en capacité d’attraction, d’agrément, de persuasion, pouvoir de coercition, capacité d’intervention indirecte sur autrui... Dans la mesure où ces inégalités d’action sont senties comme des critères d’inégalité de valeur dans un système donné, Homans (1961) montre qu’il y a une tendance pour les individus eux-mêmes à établir une cohérence entre leurs propres positions dans les différents critères (congruence des positions, status congruency ). L’effort des individus vers la congruence des positions, les effets de «halo» entre les différentes valeurs dans un groupe expliquent que les hiérarchies d’un groupe selon les différentes valeurs (ordres axiologiques ) présentent souvent entre elles de fortes analogies. C’est pourquoi l’organisation de la communication, avec sa structure généralement hiérarchisée, est fréquemment en corrélation avec la structure des relations de préférence mutuelle – structure socio-affective, traditionnellement nommée sociométrique suivant l’expression de J. L. Moreno (1934). Les structures d’affinités possèdent leurs vedettes et leurs parias, leurs élites et leurs «prolétariats affectifs». Inscrites dans des graphes ou réseaux, à partir de «matrices» ou tableaux à double entrée (a , b , c ...) 憐 (a , b , c ...), les structures d’affinités dessinent en même temps les cheminements prédominants que parcourt la communication. C’est le cas des consignes de décision ou d’organisation (Moreno, réseau d’évasion dans une maison de correction pour filles), ou des rumeurs (Festinger, 1951).Les structures de pouvoir sont souvent – mais pas toujours – elles-mêmes apparentées aux structures d’affinités. L’on trouve le même type de relations entre les structures de pouvoir et les réseaux de communication; les hautes concentrations de trafic communicationnel coïncident souvent avec les agents de pouvoir principaux et inversement. Cela se vérifie aussi bien sur les groupes expérimentaux que sur les groupes naturels: Kelley (1951) montre que la communication s’adresse de préférence aux membres du groupe de rang plus élevé que le locuteur, tandis qu’on observe chez les Djerma-Songhay du Niger que le talaka , homme libre subalterne, n’est pas à priori privé de parole, mais d’audience dans les assemblées (Diouldé Laya, 1968).Ces faits appellent quelques remarques. Tout d’abord, beaucoup d’analogies entre les différents réseaux hiérarchiques et le réseau de communication s’expliquent par des facteurs communs (non spécifiques), d’ailleurs élastiques, puisque des dissociations entre les structures de contact et d’agrément mutuel sont fréquentes, et que c’est justement à ces dissociations qu’entendent s’attaquer à la fois l’analyse et l’action de Moreno. Cependant, la répartition des possibilités de contact dans un groupe, en organisant le réseau de communication, répartit aussi de façon correspondante le pouvoir et la satisfaction. Or la proximité, dont le rôle dans les structures de préférence est, en général, manifeste (J. Maisonneuve, 1952; J.-M. Lemaine, 1960), est d’abord un des facteurs de commodité (ou de coût) de «contact», entendu comme facilité d’interaction, notamment facilité de communication, toutes choses égales, d’ailleurs.Des phénomènes, comme l’effet Steinzor (1950), montrent que la proximité n’agit pas de façon homogène et que l’exposition des sujets les uns par rapport aux autres est efficace: un sujet communique d’autant plus abondamment avec un autre, dans un groupe circulaire, que cet autre est placé en face de lui, autrement dit que le canal de communication visuelle est plus accessible. L’orientation somatique avant/arrière est très efficace.À des notions comme la proximité ou l’exposition physique, quelle que soit leur importance statistique et descriptive, il faut substituer la facilité , plus ou moins grande, selon les cas, objective ou subjective, de tel ou tel type d’interaction ou de communication. La facilité objective est condition nécessaire mais insuffisante et c’est en fin de compte la facilité subjective qui est décisive dans le cadre de finalités déterminées d’un agent (J. Maisonneuve, 1966). Mais une facilité de communication comme la langue peut être utilisée, disait Ésope, pour nuire ou servir.D’un autre côté, la communication joue un rôle privilégié parmi les emprises mutuelles explicites; tout d’abord en ce que, jusqu’à un certain point, elle est faite pour traverser ou surmonter la distance et en ce qu’elle amorce les autres emprises de toute nature, physiques ou psychiques, aperçues ou inaperçues par la source ou le récepteur. Cependant, la convergence axiologique des emprises et des dépendances orienterait vers un état monohiérarchique des systèmes d’emprise, qui régirait parmi d’autres les rapports de communication.En fait, il s’agit d’un cas limite. Le véritable problème est de savoir dans quelles conditions les structures de communication s’écartent de telle ou telle autre structure hiérarchique dans un groupe. C’est le cas, par exemple, lorsqu’un déviationniste attire à lui une masse de communications destinées à réduire sa déviation, pour autant que l’espoir de cette conversion subsiste (S. Schachter, 1951). C. Faucheux et S. Moscovici (1960) trouvent que la hiérarchisation de Bales ne se produit que dans les groupes coopératifs. L’effet Steinzor entre en conflit éventuellement avec la structure hiérarchique d’un groupe. Toutes les conditions de nivellement, de dissociation de valeurs, de polyhiérarchie, d’opposition entre «site» de communication et modèle optimal d’activité créeront des écarts par rapport à des constats statistiques portant de façon prédominante sur des groupes qui ont atteint l’équilibre.Ces écarts ne sont évidemment pas moins importants que les phénomènes à la fois modaux ou supposés tels et réputés normaux , l’ensemble de ces situations pouvant être utilement caractérisé comme «normodal». Qu’une science porte, à ses débuts, ou sur le normodal ou sur l’anormal et l’amodal (l’exceptionnel) est naturel. Mais la recherche sur les communications s’oriente heureusement vers le seul objectif scientifique proprement dit, qui est de couvrir l’ensemble des phénomènes indépendamment de leur normodalité. La recherche ne connaît ni banalité ni exceptions.3. Analyse des messagesL’analyse des messages dans leurs relations avec les éléments du schéma de communication appelle toutes les formes d’analyse sémiologique et particulièrement d’«analyse de contenu» ou, mieux, de teneur. De la simple catégorisation des thèmes en vue de leur inventaire quantifié (Berelson, 1952) on passe de plus en plus à des méthodes liées à la fois à la linguistique, à la psycho-socio-linguistique et à l’informatique, visant à l’analyse automatique du discours, que ce soit à des fins documentaires, psychologiques, esthétiques, etc. (Pagès, 1967; Pêcheux, 1967). Cependant, il est clair ici que l’automatisme est ancillaire et sert à rendre possible ce que la masse des opérations segmentaires interdirait à la recherche manuelle.Derrière la chaîne du discours, on cherche à reconstituer les claviers ou codes générateurs et les conditions mêmes dans lesquelles ils varient et s’élaborent (Pagès, 1955). L’analyse du discours n’est pas détachable du système dans lequel il est produit. Ce système n’est pas forcément en train de faire des interférences hypothético-déductives.Le linguiste R. Jakobson montre que le message est spécifié dans sa nature par l’insistance que l’émetteur porte, soit sur ses propres affects (fonction émotive), soit sur les signifiés (fonction référentielle), soit encore sur le message particulier dans sa forme intrinsèque (fonction poétique), ou sur le destinataire (fonction conative). La fonction de prise et de maintien de contact avec l’interlocuteur (canal) et la fonction métalinguistique régulatrice du code sont des fonctions auxiliaires (Jakobson, 1963). Du point de vue psychologique, l’avantage de cette démarche est de restituer, à travers la stylistique, la communication linguistique à l’ensemble de la communication. Ainsi la fonction poétique vient contrebalancer l’arbitraire caractéristique du signe linguistique (qui l’écarte de toute valeur analogique avec le signifié) pour rendre au discours une valeur directement analogique (rythmes de type physiologique, rapprochements de sens à travers les sons).À vrai dire, on peut penser que le discours poétique n’est si attentif à la forme du message que parce que cette forme a des propriétés irremplaçables, n’étant pas le véhicule d’un seul sens manifeste dans lequel elle se dissoudrait, mais d’une pluralité de messages latents en interaction qui sont simultanément assumés par le poète dans l’adhésion même qu’il a donnée à la forme qui les porte.4. Objectifs et effetsMécanismesLa communication a deux types d’objectifs chez un sujet. L’objectif primaire consiste à modifier l’état du destinataire, soit d’ailleurs l’état cognitif (le savoir), soit l’état affectif, soit les dispositions à l’action et l’action elle-même. On voit que les actes d’enseignement (par exemple, l’enseignement programmé) aussi bien que de persuasion (publicité, propagande) sont ici en cause. On peut parler alors de communication instrumentale (L. Festinger, 1953) ou alloplastique: modificatrice d’autrui. L’objectif dit secondaire, et greffé sans doute sur une fonction de pensée continue non codée, ou d’emblée plutôt primaire, consiste, dans le rapport avec un destinataire ou en l’absence d’un destinataire actuel, à user des instruments de communication (codes, langages) de façon dite consommatoire (Festinger), expressive ou autoplastique. Il s’agit d’une auto-emprise qui s’exerce indépendamment de toute considération d’effet sur autrui, par exemple, dans le rêve, la réflexion ou la méditation.La communication autoplastique est capitale en elle-même. Et ce n’est qu’à travers son traitement que sa relation avec la communication alloplastique pourrait être éclairée. On supposera qu’elle est une sorte de basse (continue) accompagnant à la fois l’action et l’expression. On se limitera ici à souligner son association permanente avec la communication alloplastique dans le cours même de l’élaboration du discours.Voici un aperçu des nombreux travaux expérimentaux sur la persuasion , thème privilégié par la pratique sociale.Le processus de persuasion dépend des variables usuelles liées au schéma de la communication et à tous ses éléments. Il est banal de montrer que la crédibilité de l’émetteur (prestige, compétence supposée...) est efficace. Ce l’est moins de trouver qu’il existe un effet dormeur (sleeper effect , G. I. Hovland et W. Weiss, 1951) qui montre que les bénéfices et handicaps dus aux différences de crédibilité tendent à disparaître avec le temps, le message finissant par avoir un effet autonome.En ce qui concerne la structure du message, le point le plus important est sans doute celui de l’argumentation, unilatérale ou non. L’argumentation est-elle plus efficace quand elle tient explicitement compte de l’argumentation adverse? Partis d’études faites sur le moral des soldats en temps de guerre (Hovland et al., 1949), les travaux aboutirent, avec W. J. McGuire (1961), à la théorie de la vaccination . Il s’agit de la défense contre les objections habituellement imprévues; la mise en présence d’objections dosées semble créer un état de défense ou de vigilance qui rend les arguments positifs eux-mêmes plus efficaces et prévient l’effet d’objections plus étendues. En France, les travaux de R. Lambert et son équipe sur l’effet majoritaire et la polarisation (1969), de S. Moscovici et ses collaborateurs sur le rôle de la consistance dans l’influence minoritaire (1979) ont ouvert des voies nouvelles. G. Lemaine a particulièrement mis en évidence des processus de différenciation et d’originalisation (1974, 1976), en collaboration, sur ce thème et des thèmes voisins, avec B. Personnaz et J. Kastersztein.L’initiative du récepteur dans le choix des messages qu’il désire accueillir a été étudiée dans la perspective de la théorie de la dissonance cognitive (L. Festinger, 1957). Par exemple, il semble que le sujet, après une décision, soit mis en état de tension par le fait même de son choix, et recherche l’information concernant l’option retenue. Notons que ce résultat, déjà obtenu sous une forme voisine par J. M. Levine et G. Murphy (1943), a été expérimentalement mis en échec sous cette forme par D. Legras et M. Zaleska (1982). Ce n’est là qu’une allusion à l’analyse qu’imposerait un vaste domaine de recherche que G. de Montmollin a passé en revue (1977).DiffusionAyant choisi de souligner les travaux expérimentaux, il reste à mentionner la communication et la diffusion massives, seulement sous l’angle de leurs rapports avec le domaine choisi.L’articulation de ce domaine avec le précédent pourrait se trouver dans le type d’expériences qui fait apparaître l’évolution de la communication en fonction de la taille des groupes (E. J. Thomas et C. F. Fink, 1963). À mesure que le groupe s’accroît (déjà de deux à sept personnes), l’inégalité de participation s’accroît aussi: le groupe se concentre ou se latéralise. On sait les effets de la latéralisation (H. Leavitt, 1952; R. Pagès, 1955; J. Cazeneuve et R. Pagès, 1966), en tant qu’elle atténue ou supprime la rétroaction régulatrice du récepteur vers l’émetteur. En fait, il se constitue pour la grande diffusion certaines modalités de rétroaction dont les enquêtes sociologiques elles-mêmes sont une partie essentielle. Il reste que la gestion de la diffusion est en voie de concentration rapide à l’échelle des États et au-delà.Le correctif véritable est que le message central se diffuse sur des groupes déjà structurés et encadrés dont les initiatives d’information ou de persuasion circulent elles-mêmes de proche en proche (flux à relais – en anglais, two step flow ).On a émis l’hypothèse que ce mode de circulation répondait à une loi de type «gravitationnel», tel que le nombre de communications entre deux groupes est inversement proportionnel à la distance et directement proportionnel aux populations des groupes, des villes par exemple (cf. G. K. Zipf, 1946).La nouveauté concernant la communication est peut-être moins dans son rôle social que dans la visibilité de ce rôle, liée à la mécanisation et à la spécialisation de secteurs du travail correspondants. En psychologie sociale, on peut considérer que les mécanismes d’interemprise demeurent la base de toute explication des phénomènes psychosociologiques, y compris de la constitution des codes linguistiques ou autres. Cette vue est-elle en contradiction avec la multiplication des intermédiaires mécaniques et avec le caractère concentré et de plus en plus collectif des émetteurs sociaux de communication?D’un certain point de vue, il y aurait comme une autonomie des chaînes instrumentales sur lesquelles s’exercerait la prise de techniciens et qui la restituerait en astreintes sur les personnes dites de la base, les bases prédestinées de l’emprise. Cela ne nous trace pas le tableau d’évanouissement de l’emprise. Au contraire, l’emprise de sources oligarchiques pourrait s’exercer de façon d’autant plus efficace que le gigantisme de l’appareil diffuseur ferait l’effet aux bases d’un phénomène naturel, d’un nouveau fatum . C’est donc surtout l’interemprise qui suppose réciprocité, rétroaction, et qui pourrait souffrir d’une situation de centralisation où la diffusion tend à remplacer la conversation jusque dans les foyers. Situation eu égard à laquelle le terme symétrisant de communication pourrait devenir dérisoire. Plus que jamais le problème de la concentration des sources d’émission, dont la formalisation est esquissée par la théorie des réseaux, est à l’ordre du jour.
Encyclopédie Universelle. 2012.